
Après l’analyse du titre Invincible publié sur notre site il y a quelques mois, continuons avec l’album Black Holes And Revelations (2006) en nous concentrant cette fois sur son titre final : Knights Of Cydonia (ou KoC, pour les intimes), un titre phare du groupe à l’ambiance de western futuriste.
Le 3ème single de l’album
Plus long morceau des 11 titres de l’album avec ses 6’06, KoC est produite par Rich Costey, producteur récurent du groupe : il collabore notamment avec celui-ci pour cet album, Absolution en 2003 ou encore Drones en 2015.
Joué une première fois en live lors d’un festival organisé par la chaîne britannique BBC Radio 1 le 13 mai 2006 puis diffusé au cours du mois de juin sur les ondes américaines, le titre est enfin publié en tant que single le 27 juin. Il est disponible sous de nombreux formats (dont un Radio Edit de seulement 4’50, blasphème) : les principaux sont la version CD (contenant le titre ainsi qu’une version live du premier single Supermassive Black Hole), la version DVD (versions audio et vidéo du morceau accompagnées du making of de cette dernière), et les versions vinyle et téléchargeables (nous offrant une magnifique B-Side : le « Grand Omega Bosses Edit » d’Assassin).
KoC atteint la 10ème place des charts UK dès la première semaine après sa sortie et la même place dans les charts américains, dans la catégorie « Modern Rock ». Son artwork est réalisé par Jasper Goodall, illustrateur britannique également chargé de la réalisation des artworks des quatre autres singles de l’album.

L’écriture et l’enregistrement
Comme c’est le cas pour beaucoup de morceaux, KoC a évolué progressivement pour devenir le titre que l’on connaît aujourd’hui : sonnant « trop ancien » au début de son enregistrement (le groupe écoutait alors beaucoup de musiques des années 70), le titre s’intégrait mal au reste de l’album, aux sonorités plus électroniques et surtout plus modernes. De là vient le choix d’un changement radical d’orientation, avec l’utilisation d’une pédale de distorsion abusivement heavy selon Matt (« the most obscene ridiculous heavy distortion pedal », phrase que je ne traduirai pas).
La sonorité « années 50 » de KoC ne disparaît cependant pas totalement, Matt s’inspirant fortement de The Tornados, groupe britannique des années 60 dont faisait partie le cher papa de Matthew, George. C’est le morceau Telstar (1962) qui le fait connaître au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, et qui inspire notamment la longue introduction à la guitare du morceau , dont la sonorité se rapproche volontairement de celle des premiers synthétiseurs du milieu du XXème siècle et utilisés dans le titre de 1962.
Cette prédominance de la guitare correspond à une volonté de Matthew Bellamy de mettre en valeur le côté instrumental et rock progressif du groupe. Plus contemporain, voire futuriste, le titre reste malgré tout principalement marqué par une ambiance western indéniable. A ce sujet, Matt déclare avoir commencé à regarder des films du genre en cherchant de l’inspiration. Mais comment regarder des westerns sans entendre parler d’Ennio Morricone ? Compositeur italien connu pour ses musiques de films tels que ceux de Sergio Leone (Pour une poignée de dollars; le Bon, la Brute et le Truand), il est une inspiration majeure pour l’écriture de KoC. Dominic Howard insiste sur l’importance de cette influence, qui se serait développée lors des longues heures de trajet du groupe dans leur tour bus à travers les déserts d’Arizona.
La signification des paroles
KoC reste plus classique dans l’univers de Muse vis-à-vis du message qu’elle cherche à transmettre : elle conclue donc parfaitement l’album, de par son côté épique évidemment, mais aussi parce qu’elle le laisse se terminer sur une note positive, incitant à se battre pour ce en quoi nous croyons sans nous laisser influencer ou contrôler (l’album tournant autour des théories du complot et des gouvernements et autres grands groupes qui nous manipulent).
Matt déclare ainsi que le morceau représente « la force de l’esprit humain luttant contre les forces qui le manipulent » (en français ça fait deux fois « force », ça sonne moins bien). Y sont dénoncés les leaders corrompus et incapables : « I’ll show you a god who falls asleep on the job », également un petit pique envers les religions (qui ne serait pas le premier venant de Matt) ?
Le clip
Réalisé par Joseph Kahn (aucun rapport avec Genghis), il s’agit sans l’ombre d’un doute du clip le plus déjanté du groupe à ce jour (bien que celui de Panic Station ne soit pas mal non plus, dans son style). En le regardant, on assiste à une lutte dans un western post-apocalyptique, dans laquelle un cow-boy armé d’un pistolet laser se lance à la rescousse de sa belle, enlevée après leur rencontre dans un saloon, saloon dans lequel ils ont d’ailleurs la chance d’assister à une représentation holographique de Muse !
Le clip n’étant ps assez déjanté comme ça, on assiste à une chorégraphie…particulière du héros principal, d’un mexicain et d’un asiatique en tenues traditionnelles (ceci n’est pas le début d’une blague raciste). Parce que se déplacer en cheval n’est pas assez badass, c’est en moto que le héros fini par secourir sa bien-aimée puis par battre le grand méchant. Tout ceci permet un nombre de références énorme à de nombreux films cultes tel que La planète des singes, ainsi que d’autres films de science-fiction ou encore de Kung-fu.
Le titre en live
N’importe quel fan ayant déjà assisté à un concert de Muse ne peut que comprendre l’ampleur que prend KoC lorsqu’elle est jouée en live. A l’image de nombreux titres du groupe, c’est en effet lorsqu’elle est jouée devant tout un public qu’elle devient un incontournable, un classique instantané du trio. C’est sa dimension épique qui ressort tant en live qui fait de ce titre celui qui clôt toutes les setlists (à de très rares exeptions près) depuis l’ère Drones débutée en 2015. Le Resistance Tour (2009-2011) voyait également souvent KoC mettre fin aux concerts.
Lors de la tournée HAARP suivant la sortie de Black Holes And Revelations au contraire, KoC ouvrait le plus souvent les lives en tant que première « vraie chanson » jouée, car régulièrement précédée par la Dance Of The Knights, morceau classique du compositeur soviétique Sergueï Prokofiev et présente dans son ballet Roméo et Juliette, preuve de l’importance qu’accorde Matt à la musique classique. Dans le DVD du live au Wembley Stadium à l’occasion du HAARP Tour, KoC est également introduite pas quelques notes jouées à la guitare : les cinéphiles y reconnaîtront un extrait du film de science-fiction Rencontre du troisième type de Steven Spielberg.
Si ces notes renvoient à l’influence des films du genre dans l’écriture de KoC, celle de Ennio Morricone est, elle, visible depuis 2008 : c’est à partir de cette période que le groupe introduit – systématiquement – le morceau par une reprise de « L’homme à l’harmonica », tirée du film culte Il était une fois dans l’Ouest. Une autre particularité de la version live que l’on peut relever est l’adaptation à la guitare, en outro du morceau, de la fin de Space Dementia, morceau tiré de leur deuxième (et meilleur) album Origin Of Symmetry (2001).
La technique musicale
Depuis son intronisation en 2008, l’intro live à l’harmonica est interprétée par Chris. L’harmonica est un instrument singulier au point qu’il n’en existe pas de « standard » permettant de jouer toutes les notes de « L’homme à l’harmonica ». Chris a donc d’abord utilisé deux harmonicas diatoniques accolés l’un à l’autre (l’un en C, l’autre en D) afin d’atteindre toutes les notes à jouer. Il s’est ensuite fait faire un harmonica Lee Oskar sur-mesure ne possédant que les notes dont il a besoin pour interpréter ce riff (c’est de la triche, on est d’accord !).

De son côté, Matt utilise une Manson équipée d’un floyd Rose pour assurer l’effet vibrato sur le riff reprenant la mélodie des couplets : Manson Chrome Bomber, Ali Top et plus récemment Chrome FR (depuis la tournée US 2017) sont ses guitares fétiches pour interpréter KoC.
L’atmosphère si particulière de KoC, c’est aussi du fait des techniques guitaristiques utilisées par Matt :
- Le tremolo picking de l’intro, c’est le fait d’attaquer une même note main droite en aller-retour, de façon rapide et répétée (
exemple : https://youtu.be/AHQkMUjBxq8?t=35 ). Cela donne l’effet d’une note continue à l’instar de celle émise par un synthéthiseur comme le souligne Matt en interview : « on the opening part of that song, we made a conscious effort to make the guitar sound like a 1950s synth, one of the first synthesizers around, that they’d used for the sound of the ‘Telstar’ bit. That was deliberate ». Couplée à un effet de distortion (fuzz), cette technique contribue à l’ambiance rétro-moderne de KoC. - L’usage de la whammy bar (la barre de vibrato de son Floyd Rose) crée un effet de modulation sonnant un peu « sci-fi » dans cette ambiance western. Si vous n’avez rien compris aux deux lignes précédentes, voyez par ici : https://youtu.be/4NL1wqc9rGE?t=187
Ce qui est cependant particulièrement marquant dans KoC, c’est sa structure atypique pour un morceau de rock. Dans ce registre musical, on distingue généralement deux structures classiques :
- Structure AABA : on compose deux couplets A et B et on les enchaîne de la sorte AABA (exemple : Yesterday des Beatles)
- Structure ABABCB : on compose un couplet A, un refrain B et un pont C enchaînés de la sorte (exemple : Fix you de Coldplay)
KoC se démarque de ces standards rock avec une structure plutôt originale : intro / A1 / A2 / A3 / intro / B / Coda où A1, A2 et A3 sont des modulations d’un même couplet (la modulation, ou encore changement de tonalité, n’est pas si fréquente dans des morceaux rocks).
Trouver une occurrence de l’intro au milieu du morceau, avouez que cela n’est pas courant ! La présence de trois couplets enchaînés et suivant une modulation harmonique bien particulière dans l’esprit d’une pièce classique est clairement la marque des influences musicales de Bellamy :
- Le premier couplet A1 démarre en Em et module en Cm
- Le deuxième couplet démarre en Cm et module en G#m
- Le troisième couplet démarre en G#m et module en Em, bouclant ainsi la boucle en revenant à la tonalité de base du morceau
Ainsi, ces trois couplets modulent en divisant l’octave en trois tierces majeures descendantes à l’image de certaines pièces classiques telle la sonate n°21 « Waldstein » de Beethoven.
La progression harmonique au sein de chaque couplet est subtile et riche de nuances.
On ne peut terminer cette analyse musicale sans évoquer le groove galopant et hypnotique du pattern de batterie de KoC entre 0:49 et 2:32. Le découpage en double-croches avec charley sur le contre-temps contribue clairement à l’ambiance far-west de ce titre !

Anecdotes
Enfin, finissons avec quelques anecdotes en vrac au sujet de KoC.
- Le terme « Cydonia » renvoie à une région de la planète Mars où certains pensent qu’aurait pu exister une certaine forme de vie (un relief en forme de visage et un autre se rapprochant de la forme d’une pyramide s’y trouvant renforcent le développement de cette théorie dans l’imaginaire collectif).
- Le terme de « Knights », lui, fait référence aux quatre chevaliers de l’Apocalypse, mentionné dans le Nouveau Testament, dont la chevauchée est censée être annonciatrice de la fin du monde.
- KoC est utilisée à de nombreuses reprises, aussi bien à la télévision que dans les jeux vidéos : elle est par exemple utilisée dans un reportage de la BBC sur la série Heroes ou encore dans le premier trailer du jeu Halo 5 : Guardians.
- Dans un sondage de la chaîne de radio britannique XFM, KoC est élue 11ème « meilleure chanson du rock britannique de tous les temps ».
- Un autre sondage lui a permis d’être le tout premier titre diffusé sur la NME Radio, le 24 juin 2008.
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